Vatnajökull, littéralement le glacier des lacs, est le deuxième glacier européen par sa taille. Avec ses 8000 km2 (la taille de la Corse), sa tête qui culmine à plus de 2000 mètres, ses pieds de glace descendant jusqu’à 1000 mètres sous sa calotte, ses volcans ardents sous son manteau blanc, le sang bleu des rivières et des lacs souterrains qui irriguent ses chairs, les épaules des montagnes qui l’entourent, les larges paumes ouvertes des lagunes qui cueillent et recueillent ses éclats bleus, Vatnajökull est un vaste écosystème qui rassemble tant de vies... Parmi elles, en son cœur et sur ses flancs, son abondante flore microbienne aquatique, son humble flore riche en mousses, quelques rennes venus nous saluer, des oiseaux qui se demandaient ce que nous faisions là.

Un Grand Vivant est un Être-lieu, reliant un ensemble d’êtres qui savent faire voix commune. Comme les cellules d’un seul corps, ils vibrent en unité, forment une conscience collective embrassant de multiples identités.

La nuit est une page blanche

Lorsque nous sommes partis rendre hommage à notre premier Grand Vivant, nous étions alors préoccupés par la nuit qui grandissait autour de nous, par les doutes qui couvraient demain d’une ombre pesante. Nous avions besoin d’aller à la rencontre de cette nuit, de la regarder droit dans les yeux, de comprendre ce qu’elle nous poussait à transformer au plus profond de nous. Vatnajökull nous invitait à apprendre à marcher sur un monde qui fond. À rencontrer nos failles, accueillir l’incertain. Nous sommes allés écouter sa mémoire millénaire, lui rendre un hommage de lumière au plus profond de la nuit, en décembre, au moment du solstice d’hiver.

La poésie nous a guidés tout au long de ce chemin. Apollinaire nous soufflait de «rallumer les étoiles». Nazim Hikmet de brûler pour éclairer la nuit. Andrée Chedid d’être espérance en «allumant des flambeaux à la lisière des nuits». Édouard Glissant nous invitait à nous relier au Tout-Monde pour nourrir le destin partagé de la Communauté Terrestre d’Achille Mbembe. Le «Tout-Vibrant» de Séverine Kodjo-Grandvaux nous poussait à devenir vivants en assumant notre sensibilité. Nous avons suivi les pas des poètes jusque dans le grand froid et l’inconnu. Pour rallumer la flamme de l’espérance en demain. Pour honorer Vatnajökull et la Terre. Nous sentir vivants parmi les vivants, tout simplement.

La performance a été faite parmi les blocs de glace à la dérive dans une des lagunes formées par la fonte du glacier. Elle a consisté en une offrande de lumières lors du solstice d’hiver. Ce geste fait au cœur de la nuit, au moment du solstice, marque le renouveau du jour après la période de nuit croissante. Il est en résonance avec les rituels en Asie qui honorent les défunts et les présences invisibles, notamment chaque 6 août à Hiroshima sur la rivière Motoyasu.

Pour réaliser la performance, des angéliques ont été cueillies autour du glacier. Tous les matériaux utilisés (angéliques, bougies) ont été préparés pour ne laisser aucun déchet ni aucune pollution.

Des œuvres ont été créées autour de la performance en s’inspirant du lieu, donnant un ensemble d’oeuvres d’art (installations, sculptures, dessins, photographies), un livre d’art et un carnet de création, un documentaire.